QUESTIONS ET RÉPONSES...
À la fin du film on est surpris de constater que les comédiens principaux ont des noms à consonance française et anglaise, alors qu’on s’attend à voir des noms exotiques. Sont-ils tchétchènes?
Non, ils ne sont pas Tchétchènes, mais bien Québécois. Noémie Godin-Vigneau (Nouvelle-France; 2004) et Danny Gilmore (Gaz Bar Blues) sont très connus au Québec. Initialement, je désirais trouver des comédiens tchétchènes pour incarner les personnages d’Amant et Aslan, mais j’ai dû lâcher prise après un moment. Premièrement, il n’y avait pas de comédiens professionnels au Canada et deuxièmement très peu de membre de la communauté ce sont portés intéressés, et ce souvent par peur de représailles pour leur famille vivant toujours en Tchétchénie. J’ai tout de même fait des auditions, mais l’éventail des émotions qui devaient être rendues dans le film nécessitait l’implication de professionnel. J’ai d’abord pensé me tourner vers des comédiens d’Europe de l’Est, mais les consultants tchétchènes m’ont plutôt encouragé à regarder du côté québécois, sous prétexte que pour la prononciation du tchétchène, certaines consonances et prononciations s’apparentaient d’avantage au français : par exemple, les Russes sont incapable de prononcer le « r » tchétchène alors que c’est la même lettre en français.
Danny Gilmore – Aslan :
J’ai tout de suite pensé à Danny Gilmore pour son faciès, ses caractéristiques physiques et sa grande polyvalence. Je ne connaissais pas Danny, mais une incroyable coïncidence a fait en en sorte, qu’il avait lu 5 ans auparavant, lors d’un concours de scénarisation intitulé Cours écrire ton court!, le scénario de Welcome Yankee. Lu devant public, il avait justement incarné le personnage d’Aslan. Merci à Danny et aux autres comédiens présents lors de l’événement, Welcome Yankee avait remporté le prix du public.
Noémie Godin-Vigneau – Amant :
Pour le personnage d’Amant, la tâche fut plus complexe. J’ai passé plusieurs auditions pour combler le rôle, mais malgré le grand talent des nombreuses candidates rencontrées, aucune ne parvenait à déloger l’image que j’avais en tête et nous continuions de chercher. Quelques mois auparavant, j’avais fait la rencontre d’une Tchétchène dont les traits m’avaient marquée, à la fois par sa beauté et son caractère. Cependant, contrairement à la majorité des femmes tchétchènes elle était blonde. Puis, lors d’une réunion de production, c’est Vuk Stojanovic (coproducteur et directeur de la photographie du film) qui m’a montré la photo de Noémie. Voilà, c’était elle! Noémie et moi sommes allés prendre un café au Marché Jean-Talon, je lui ai mis le foulard rouge sur la tête, nous avons discuté du film. J’étais convaincu.
L’apprentissage de la langue tchétchène :
L’apprentissage de la langue tchétchène a présenté un défi de taille pour les comédiens qui y ont consacré plus d’un mois à raison d’entraînement et de répétition, d’encadrement sur le plateau et de réenregistrement en postsynchro. Tout devait être parfait, car Welcome Yankee est un des seuls films de fiction de l’histoire du cinéma à être tourné en langue originale tchétchène : lorsque les Tchétchènes verront le film, ils ne doivent pas être distraits et se demander quel est cet accent étrange. Tout au long de cette aventure, Noémie et Danny ont fait preuve d’une implication et d’une générosité sans borne. J’ai été à plus d’une reprise impressionné par leur grand talent et leur incroyable capacité à intégrer rapidement et avec justesse les subtilités sonores de cette langue.
La séquence poétique du foulard contraste avec la dure réalité du film, quel sens lui accordez-vous?
Lorsque je menais mes entrevues en France auprès de réfugiés tchétchènes, un échange m’a profondément marqué. Nous devions toujours suspendre nos entretiens durant quelques minutes au moment de la prière, ce qui m’a amené à questionner mon interlocuteur sur l’importance de la religion. Il m’a alors raconté qu’un jour il faisait partie d’un long convoi qui fuyait Grozny (la capitale tchétchène) en route vers la frontière géorgienne : « À la frontière géorgienne, les autorités étaient débordées et les véhicules immobilisés faisaient la file sur des kilomètres. Quand soudain, des chasseurs russes ont passé au dessus de nos têtes. Ils ont fait demi-tour à la frontière et ont commencé à nous bombarder. Entassé les uns sur les autres nous étions prisonniers de la route et de nos véhicules. Les bombes tombaient autour de nous. Les gens couraient dans tous les sens alors que les avions faisaient des allers-retours au dessus de nos têtes. Cette journée-là, le ciel nous est tombé sur la tête, c’était l’enfer sur terre. Puis, plus rien. Je me suis réveillé à quelques mètres du véhicule, allongé sur le sol. Autour de moi c’était la destruction. Des véhicules flambaient et fumaient, des gens étaient couverts de sang et pleuraient de douleurs ou pour la perte de leurs proches. C’est ce jour-là que j’ai cru en Dieu. Pourquoi est-ce que moi, j’avais survécu à ce carnage? Lorsque la vie ne fait plus de sens, Dieu existe pour lui en redonner. Depuis ce jour, je remercie Dieu de m’avoir laissé la vie sauve».
Dans Welcome Yankee, c’est donc le foulard qui exprime l’intervention divine (clin d’œil à Elia Suleiman). Dieu accompagne Amant et Aslan dans leur traversée de l’Atlantique et leur donne le courage d’aller de l’avant dans l’adversité. Le foulard, c’est également leur défunte petite fille qui les accompagne et les protège. Finalement, c’est un appel à l’aide, un cri d’alarme des peuples opprimés qui luttent chaque jour pour leur survie alors qu’on tente de les écraser à l’insu de tous. Comment voulez-vous être entendu lorsque votre agresseur a droit de veto au conseil de sécurité de l’ONU?
D’où proviennent Amant et Aslan?
Amant et Aslan sont Tchétchènes et sont persécutés par l’armée fédérale de Russie. Je me suis longtemps questionné à savoir s’il était important dans le film de situer le conflit qui pousse Amant et Aslan à prendre la fuite. J’ai finalement pris la décision de laisser la question ouverte, afin de donner un caractère universel au film et à la quête de liberté d’Amant et Aslan.
Que signifie le titre Welcome Yankee?
D’abord, il y a un lien direct au bonnet que porte Aslan. Dès son arrivé au port, on parle de lui comme étant le Yankee. Or, Aslan vit à des années lumières du baseball et des Yankees de New York. Le sens derrière cela est qu’on appose souvent très rapidement une étiquette à ceux qu’on ne connaît pas, on porte des préjugés sans connaître, sans savoir, et surtout lorsqu’il s’agit de décrire des immigrants que l’on voit encore trop souvent comme des envahisseurs. La définition du mot yankee dans la chanson de Richard Desjardins qui accompagne le générique de fin du film va d’ailleurs dans ce sens. Selon ce dernier, l’origine du mot yankee serait amérindienne et signifierait «envahisseur». Les Amérindiens de la Côte-Est américaine l’utilisaient pour désigner les colons anglais qui débarquaient en Amérique. Il y a également un clin d’œil au fait que les logos et les produits voyagent facilement d’un bout à l’autre de la planète, sans se soucier des frontières, alors que pour les individus c’est autre chose. J’ai même déjà rencontré un Péruvien dans les Andes avec un manteau à l’effigie du Canadien de Montréal. Il ne connaissait rien au hockey et encore moins au Canadien, mais il trouvait le manteau rouge vraiment très beau. Donc, pourquoi pas un tchétchène avec un bonnet des Yankees.